1937 : pour stimuler l’industrie automobile française et aider les constructeurs du sport automobile à contrer les Mercedes, Auto Union et Maserati, fortement aidés par leurs gouvernements respectifs, la Fédération des clubs auto et l’État décident de créer un fonds de course.

Ce fonds, alimenté par une taxe sur les nouveaux permis de conduire et des financements privés, récolte la somme de 1 480 000 FF. Gérée par l’ACF, Automobile Club de France, cette dernière est divisée en deux :

  • d’une part 480 000 francs (j’avoue ne pas avoir trouvé de renseignements fiables sur l’attribution de cette somme qui aurait été versée à Bugatti)
  • de l’autre un million.

Tout le Monde de l’automobile et de la Presse s’intéresse à ce million de Francs. Le règlement établi prévoit qu’il faut se plier à celui de la F 1 de 1938 – 39 -40 : moteur atmosphérique de 4,5 l ou compresseur de 3,3 l. Il faut battre le temps du dernier GP de France (1935), gagné par Rudolph Carraciola au volant d’une Mercedes, soit 146 608 km/h, le tout à Montlhéry, sur 200 km départ arrêté, avant le 31 août 1937.

Trois marques relèvent le défi : Bugatti, Delahaye et Talbot Lago.

  • Talbot, qui a arrêté la compétition et a été rejoint par l’ingénieur italien Anthony Lago, se nomme maintenant Talbot Lago. La firme prépare son retour avec la T 150 C, mais préfère tout miser sur le Tourist Trophy du 4 septembre qu’il remportera.
  • Bugatti est en plein bouleversement ; Ettore, vexé par la grève de ses ouvriers en 36, vit à Paris. La gestion des vieillissantes Bugatti de course est confiée à son fils Jean. La type 59 alignée est l’ultime évolution de la type 57 à compresseur, réalésé à 72 mm ; sa cylindrée est de 3257 cc pour 250 cv.
  • Les activités sportives de Delahaye sont en grande partie aidées par l’Écurie Bleue, financée par les Shell, famille d’Américains d’origine irlandaise vivant en France. Lucy Shell, elle-même pilote de course, a demandé la modification de la 135 en version course. Une quinzaine de voitures sont fabriquées selon ses directives. En 1937, l’ingénieur Jean François conçoit un V 12 atmosphérique, bloc magnésium, culasses aluminium, trois arbres à cames dont l’un, au centre du V, commande les admissions, les deux latéraux gèrent les échappements. Le tout est posé dans un châssis de 135 C S, habillé d’une carrosserie légère en aluminium. Dreyfus, le pilote N° 1 déclare  : « Je n’ai jamais vu une voiture aussi moche ! »

Les tentatives

  • 23 août, Robert Besnoit sur Bugatti 59 : 200 km à 146 226 de moyenne : raté.
  • 27 août, René Dreyfus sur Delahaye prend le départ à 10 heures, accompli 16 tours du circuit de 12,5 km à la moyenne de 146 654 km/h : record battu (de peu).
  • Même jour, la Bugatti 59/59B, de Robert Besnoit, en fait une 59 équipée du 4,5 l athmo de la T 50 B. La mise au point est longue et suivie d’un abandon : piston cassé.
  • 30 et 31 août, Jean-Pierre Wimille à peine remis d’un accident de circulation remet le couvert sur la Bugatti et se heurte à de nombreux problèmes en trois tentatives : nouvel échec.

Le million est donc attribué à Delahaye, qui le partage en deux  : une moitié pour l’Ecurie Bleu de Shell et l’autre pour Delahaye. René Deyfus reçoit 250 .000 F de l’Écurie Bleue. Pour célébrer la performance, les Delahaye de l’Écurie Bleue sont décorées d’un filet bleu blanc rouge.

Bien que la date soit dépassée, pour sauver l’honneur, Jean Bugatti aligne de nouveau la type 59, mais les ennuis techniques pleuvent et c’est encore l’abandon. Accusé de tous les maux, l’ingénieur Jean Vial est licencié.

De son côté, Adolph, vert de rage d’avoir été battu par une Delahaye, qui plus est pilotée par un juif (qui dominera une nouvelle fois les Mercedes au GP de Pau), en « bouffe son képi » !

Quatre voitures sont construites. Lors de l’invasion allemande, trois d’entre elles sont démontées, cachées et… oubliées. La légende dit que l’une d’entre elles aurait été retrouvée et re-carrossée en cabriolet de route. Pour éviter la destruction par l’armée allemande de celle qui avait remporté le million, L. Shell envoie René Deyfus courir les 500 Miles d’Indianapolis aux USA. Voiture et pilote resteront aux États-Unis.

 

 

10 heures, le départ.

 

Sur le routier de Monthléry.

 

GP de Pau : les Mercedes sont battues… Pauvre Adolph ! Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les troupes nazies avaient ordre de détruire la voiture et de capturer son pilote.

 

Dogninton en Angleterre.

 

GP fumant à Marseille.

 

Casse à Albi.

 

La 135 qui a servi de base était équipée d’un classique quatre cylindres culbuté.

 

Le V 12, trois carburateurs.

 

Le beau V 12, tout en alliage léger

 

Pour les « mateurs de mécanique », allez hop ! on déculasse, trois arbres à cames, entrainés par pignons ; deux latéraux et un au centre du V, c’est un moteur culbuté.

 

D’après ce document, c’est la boite Cotal qui équipait la voiture. Elle paraît bien petite !

 

Le châssis type 135 qui a servi de base, châssis à longerons et suspensions à lames de ressorts et pont rigide, du classique.

 

Suspensions à roues avant indépendantes, ressort à lames et amortisseurs à bras.

 

Exposée à Retromobile, une des Delahaye du Million, décorée de son filet tricolore.

 

Désolé pour la mauvaise qualité du plan de la Delahaye du Million, ici équipée de ses ailes amovibles.

 

Une des Delahaye aurait été re-carrossée en cabriolet par Figoni et Falashi.

 

Fin de la tentative pour la Bugatti, JP Wimille dépité regarde passer la Delahaye.

 

Le pilote du Million

René Dreyfus (1905-1993) possède avec son frère une usine de papier à Nice. À partir de 1928, il court dans toute l’Europe. En 1938, il est sacré Champion de France des circuits. Pendant la Seconde Guerre mondiale, particulièrement recherché par un envahisseur rancunier, il se réfugie aux États-Unis où il ouvre un restaurant qui deviendra vite célèbre puis est enrôlé dans l’armée US comme traducteur et aussi chauffeur.

 

 

René Dreyfus a couru aussi sur Bugatti, comme ici à Monaco.

 

Lucy Schell (1896-1952), patronne de l’Écurie Bleue qu’elle a fondée avec son mari, Laurence S. Laury Schell. Elle fait courir des Bugatti, Delahaye et Maserati ; elle pilote en GP de 1927 à 1932 puis en rallye avec son mari, elle finit deuxième au rallye de Monte-Carlo de 1936.

 

Deuxième du rallye du Monte-Carlo 1936 pour 2/5 e de seconde. Lucy et son mari décéderont dans un accident de voiture. Leur fils, Harry Schell, fera lui aussi une belle carrière de pilote.

 

 

Le circuit de Montlhéry

Dessiné par l’architecte Raymond Janin, à la demande de l’industriel Alexandre Lamblin, l’anneau de Montlhéry est construit en 1924, le circuit routier est ajouté, la totalité du parcours représente 12,5 km. Labelliser patrimoine du XXe siècle, il appartient à l’UTAC depuis 1973.